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Thomas Fauré (Whaller) : « La cybersécurité est au cœur de notre stratégie »


Entretien avec Thomas Fauré, fondateur et président de la plateforme collaborative Whaller qui permet aux entreprises de créer leur propre réseau social, interne ou public.

Entreprendre - Thomas Fauré (Whaller) : « La cybersécurité est au cœur de notre stratégie »

Pouvez-vous nous raconter votre parcours avant de devenir entrepreneur ?

Je suis diplômé de Centrale (Lille). J’ai débuté ma carrière d’ingénieur chez Safran. Puis j’ai rejoint Polyconseil (Groupe Bolloré́) en 2011. C’est dans ce cadre providentiel que j’ai pu évoquer ma vocation d’entrepreneur et mes projets concrets jusqu’à convaincre Vincent Bolloré d’investir dans Whaller en 2013.

Quelles expériences de vie vous ont le plus influencé en tant qu’entrepreneur ?

Thomas Fauré : Incontestablement mon expérience du scoutisme ! C’est là que j’ai puisé mon goût de la bonne compagnie, mais aussi et surtout la compréhension des bienfaits de la hiérarchie, de la nécessité du chef, et de la beauté du service. J’ajouterais volontiers ma passion pour la construction sous toutes ses formes.

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Avez-vous eu des mentors ou des figures d’inspiration clés dans votre carrière ?

Oui, je fus un temps chargé d’une mission chez Autolib, une autre filiale du groupe Bolloré, dont je m’occupais chez Polyconseil. C’est là que le “hasard” des rencontres – pour ceux qu’abuse encore ce mot – me plaça sur le chemin de Christian Studer, qui me prit dès lors sous son aile. Ce fût une chance puisque Christian avait une certaine connaissance du groupe Bolloré et de son chef. J’avais trouvé mon mentor ! Christian Studer m’apprit patiemment tout ce dont j’avais besoin pour convaincre, retenant toute ardeur personnelle jusqu’au moment propice.

Quelle a été l’inspiration derrière la création de votre entreprise ?

L’absolue nécessité de pouvoir jouir d’un environnement sûr pour dialoguer, réseauter et collaborer en toute confiance dans le cyber-espace.

Pouvez-vous décrire les premiers jours de votre entreprise et comment elle a évolué depuis ?

Nous étions une poignée, cofondateurs et développeurs dans un petit bureau dans les locaux du Groupe Bolloré à Vaucresson, à travailler d’arrache-pied à l’édification d’un nouveau réseau social de confiance.

Quels ont été les défis majeurs auxquels vous avez dû faire face et comment les avez-vous surmontés ?

Whaller a passé le cap des dix ans, et maintient ce cap vers la croissance. Je dirais que les deux plus gros défis tiennent aux moyens : les moyens matériels et les moyens humains. Mais le plus gros défi, c’est certainement celui qui concerne les moyens humains, les collaborateurs. Il faut en permanence veiller à l’homéostase de l’entreprise. Si l’on prend l’image du corps humain, il faut maintenir un bain interne propice à la vitalité, à la pérennité de l’organisme.

Quels sont, selon vous, les moments clés dans l’histoire de votre entreprise ?

J’en distingue trois, majeurs, parmi les autres. Le premier, c’est l’épiphanie, comme disent les anglophones, c’est un peu aussi mon « Eureka ». A la question que me posait mon beau-frère de savoir s’il pouvait sereinement laisser ses enfants utiliser facebook, j’ai préféré répondre par l’action, plus que par la considération ou le jugement. J’ai compris à ce moment que s’il y avait le moindre doute à ce sujet, la moindre hypothèque, c’est qu’il fallait s’atteler à la création d’un réseau au sujet duquel il n’y en ait plus aucune. Le lendemain, je commençais à coder Whaller.

Le deuxième moment clef, c’est naturellement quand Vincent Bolloré m’a accordé sa confiance. C’est lui qui a porté Whaller sur les fonts baptismaux et l’a accompagné jusqu’à ses premiers pas. Je raconte cet épisode digne d’un « blockbuster » américain dans mes deux ouvrages.

Le troisième correspond à l’envol de Whaller, quand Vincent Bolloré m’a cédé le contrôle du capital de l’entreprise, et que j’ai dû assumer la responsabilité d’être seul maître à bord.

Y a-t-il eu des tournants décisifs ou des décisions importantes qui ont façonné le parcours de votre entreprise ?

Oui, certainement. Mille, si j’ose dire. Et toutes ont peu ou prou trait à l’arrivée ou au départ d’associés ou collaborateurs chez Whaller. Un chef d’entreprise est d’abord un homme. Mais ses décisions sont toujours mues par l’intérêt supérieur de la société. Rétrospectivement, je ne vois pas un seul recrutement dont je n’ai mesuré le bénéfice ou le bienfait, d’une manière ou d’une autre. De la même manière que je ne vois aucun départ plus ou moins nécessaire, qui n’ait été d’abord appelé par la bonne continuation de l’entreprise.

Quelle est la philosophie ou la mission principale qui guide votre entreprise ?

Le premier slogan de Whaller, c’était « réseautez en confiance ». Je crois que ce qui dirige comme ce qui motive la course de Whaller, c’est la confiance. Whaller permet la confiance, au sens actuel de cybersécurité. Mais nous nous efforçons aussi de créer des écosystèmes numériques qui soient propice à l’entretien de la confiance entre les membres d’une même organisation. Ensuite, tous les efforts consentis par notre équipe s’emploient à maintenir et mériter la confiance que nous vouent nos clients. Enfin, et à titre personnel, il me semble qu’est cruciale la confiance dans la valeur de la promesse que j’honore chaque jour, et cette promesse est la suivante : Servir.

Comment voyez-vous l’avenir de votre entreprise dans les 5 à 10 prochaines années ?

Avec audace, confiance et humilité.

Audace, parce qu’un chef d’entreprise en a le devoir. Il faut sans cesse se projeter, imaginer de nouveaux développements, des marchés à conquérir, des ambitions utiles à ceux que nous servons. Je nous imagine beaucoup plus nombreux que nous le sommes aujourd’hui, structurés de manière telle que je puisse davantage me consacrer à ma passion pour la chose publique, au service de laquelle j’ai d’ailleurs créé Whaller.

Confiance, parce que sans ce carburant, il est impossible de progresser dans quelque direction que ce soit. Assez étonnamment, l’on oublie souvent que dans l’idée de confiance, se trouve aussi celle d’abandon.

Enfin, humilité, sans doute en raison du fait que la seule prétention que j’assume, mais que j’assume totalement, c’est celle, une fois encore, de rendre service. J’ai pu entendre dire au sein de mes équipes que certains n’étaient pas là pour servir les autres. Je suis intervenu pour faire comprendre que le service réside précisément au cœur de l’entreprise.

Quelle est votre approche de l’innovation et de l’adaptation au changement dans votre secteur ?

Elle est mue par notre intuition, mais souvent commandée par les besoins concrets de nos clients. Je n’oublie pas que Whaller doit répondre à ces besoins. Et ces derniers évoluent dans le temps. Il est assez fréquent que de « gros » clients nous expriment la volonté d’une amélioration fonctionnelle d’ampleur sur notre solution. Ils en financent le développement, qui, par un vertueux effet d’ombrelle, finit par profiter à tous nos usagers. Je trouve cela assez beau. Nous épousons le changement quand il est nécessaire. Et nous faisons en sorte d’en porter le bénéfice à nos clients dans le souci permanent de la qualité de l’expérience.

Pouvez-vous partager une anecdote particulièrement mémorable ou significative liée à votre entreprise ?

En 2020, lors du premier confinement, le Ministère des Armées nous a confié la mission d’héberger l’espace de collaboration pour leur personnel qui était alors en télétravail forcé. Ce fut un grand choc pour nous, et dans tous les sens du terme : d’abord nous nous sommes pleinement consacrés à l’établissement de cette plateforme, et puis surtout ça a marqué le virage stratégique que nous avons pris dès lors, avec l’ambition renforcée et désormais crédible de devenir la plateforme collaborative la plus sécurisée du marché. Aujourd’hui la cybersécurité est au cœur de notre stratégie, et elle n’est finalement que la conséquence logique et poussée de la mission que nous nous étions conférée : fournir à nos utilisateur un espace numérique de confiance.

Comment équilibrez-vous votre vie professionnelle et personnelle ?

Du point de vue chronologique, autant que faire se peut. Cependant, je pense que l’équilibre tient ici d’abord de l’échange de fluides. Je tire de ma vie personnelle un puissant ferment pour le travail que j’accomplis au sein de Whaller. Et chez Whaller, je sais bien que je consacre ce travail à ma famille. L’étanchéité peut exister entre ces deux mondes. Mais, exactement comme sur Whaller, si je suis un seul et même homme, je possède deux profils distincts propres à chacun de ces deux univers.

Quels conseils donneriez-vous à de futurs entrepreneurs ?

Sans doute pas ceux qu’on peut lire partout : échouez c’est formidable. Je leur recommanderai d’identifier l’endroit précis où se focalise leur désir. Puis d’y déceler une ère particulière où un service nécessaire n’est toujours pas rendu. Un service dont ils ont eux-mêmes besoin et dont ils seraient volontiers les premiers clients si d’autres venaient à le fournir avant eux. Et à partir de cela, construire une vision, et peut-être aussi une manière personnelle d’être et d’agir. Je ne comprends pas que l’on puisse songer à devenir entrepreneur sans avoir au préalable conçu une foudroyante envie d’apporter quelque chose de nouveau et de beau ou d’utile au monde. C’est un peu comme si quelqu’un voulait devenir amoureux sans avoir d’abord croisé le regard de celle qui seule peut en motiver le sentiment.

Comment votre entreprise contribue-t-elle à son secteur ou à la société en général ?

Deux grandes forces sont à l’œuvre dans l’histoire, les forces de dissolution et les forces de structuration. Les dernières ont permis l’émergence de peuples, de sociétés, de civilisations. Et nous devons lutter aujourd’hui contre les premières, qui menacent le corps social d’atomisation. Le but de Whaller est d’ordonner les organisations : c’est-à-dire de leur permettre de se mettre en ordre dans cet environnement finalement assez nouveau qu’est le cyber espace. Mais cela va plus loin encore. La vision qui a présidé à la création de Whaller, la manière dont a été érigée son architecture, les grands principes qui la sous-tendent (confidentialité, étanchéité des sphères d’activité, subsidiarité, fonctionnalité etc), tout cela sert la relation, le dialogue, le foisonnement, la création de valeur, tout en protégeant l’attention de chacun, qui est la prunelle de chaque personne.

Quels sont vos objectifs à long terme pour votre entreprise ?

La croissance ! Mais pas n’importe laquelle, pas à n’importe quel prix ! La croissance dans l’être, dans la capacité à prodiguer un service attendu, un service de qualité. Cela peut passer par de nouveaux contrats, de nouveaux moyens, de la consolidation, pour industrialiser nos modes de production, bien sûr. Mais cela me semble secondaire au regard de l’ambition que nous avons de MAINTENIR, maintenir la qualité de notre service dans le temps, maintenir notre capacité d’écoute et de réponse aux besoins des organisations dont le fonctionnement repose bien souvent sur notre plateforme.

Y a-t-il des tendances ou des évolutions dans votre secteur que vous trouvez particulièrement excitantes ou préoccupantes ?

La tendance majeure, dont nous avons assez rapidement fait la figure de proue de Whaller, c’est évidemment l’omniprésence de la menace cyber. Nous vivons dans un monde extrêmement volatile et incertain. Et les organisations et entreprises les plus puissantes peuvent du jour au lendemain se trouver dans l’incapacité d’assurer leur objet, à la suite d’une cyberattaque. Je disais tout à l’heure que notre but était d’ordonner ou de permettre le bon ordonnancement des activités d’une organisation. Depuis quelques années, ce but coexiste avec une mission de la plus haute importance : protéger ces organisations. La « cybersécurité reine » est devenue le pendant « martial » de notre attachement pour la souveraineté numérique. Tout cela fonctionne de concert.

Avec le recul, y a-t-il quelque chose que vous auriez fait différemment dans votre parcours entrepreneurial ?

Je perçois cette question comme une impasse : celle de l’anachronisme. Je ne peux juger aujourd’hui de la valeur de mes actes d’hier, posés par l’homme d’hier, pris dans l’écheveau des relations, des situations d’hier. Précisément parce que seul le temps accorde le recul dont vous parlez. Je ne veux pas faire injure au passé. Ce qui ne me dispense pas d’en tirer mille enseignements pour demain.

Quelles sont les valeurs qui vous tiennent à cœur en tant qu’entrepreneur ?

L’autorité. Le mot a mauvaise presse aujourd’hui. Mais que voulez-vous ? Quelle plus belle ambition, si l’on s’en tient à l’étymologie du mot, que de vouloir « faire croître » ?

Comment définiriez-vous le succès pour vous-même et pour votre entreprise ?

Un peu comme la liberté sans doute. Mais pas au sens où l’entendent beaucoup de personnes. La liberté, c’est vouloir ce que l’on fait, y être investi totalement, y jeter tous ses moyens, y épuiser ses forces, y étancher sa soif. Et non faire ce que l’on veut. Ce qui peut de temps à autre avoir aussi son petit charme.

Propos recueillis par Bernard Chaussegros

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