Début 2023, la Commission européenne et le Parlement européen ont interdit à leur personnel d’utiliser l’application chinoise TikTok sur leurs téléphones professionnels, en raison de risqués liés à la protection des données professionnelles. C’est dans ce contexte qu’a émergé la question de l’interdiction totale de l’utilisation des réseaux sociaux dans le cadre professionnel. Que dit la loi dans ce domaine ? Un employeur peut-il interdire l’utilisation des réseaux sociaux ? Éléments de réponse avec Judith Desir, juriste, et Marine Claisse, avocat collaborateur chez FTPA.
Un salarié est-il complètement libre d’utiliser les réseaux sociaux qu’il souhaite ?
Judith Desir : L’employeur ne peut limiter les agissements du salarié et exercer son pouvoir de surveillance et de contrôle que sur le lieu et pendant les heures de travail de ce dernier. Il ne peut pas restreindre les droits et libertés fondamentaux du salarié, tels que le droit au respect de la vie privée et la protection de la liberté d’expression, si sa décision n’est pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché.
Ainsi, l’interdiction générale et absolue d’utiliser librement les réseaux sociaux sur le téléphone portable personnel est considérée comme abusive. Par conséquent, s’agissant du téléphone personnel, l’employeur ne peut pas en limiter l’utilisation. S’il souhaite sécuriser les données confidentielles, il peut toutefois interdire au salarié d’utiliser son téléphone personnel à des fins professionnelles.
En revanche, l’employeur peut empêcher le salarié d’utiliser son téléphone professionnel à des fins personnelles. Dans ce cas, il peut même techniquement bloquer le téléchargement de certaines applications. Ces restrictions à l’utilisation du matériel professionnel peuvent être prévues dans une politique de sécurité informatique, une charte informatique ou des règles d’utilisation de la connexion internet à des fins personnelles précisées dans le règlement intérieur de l’entreprise.
Un salarié peut-il être sanctionné par son employeur pour ses activités sur les réseaux sociaux ?
Marine Claisse : Le pouvoir disciplinaire de l’employeur s’exerce exclusivement dans la sphère professionnelle, à l’égard des obligations découlant du contrat de travail, du règlement intérieur ou nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise. L’employeur ne peut pas, en principe, utiliser les actes d’un salarié dans sa vie privée, pas plus que ses publications sur les réseaux sociaux, pour justifier une sanction disciplinaire.
Pour autant, le salarié ne peut abuser de ses droits et est en tout état de cause tenu à une obligation de loyauté et à un devoir de discrétion. Par exemple, il ne peut divulguer les informations confidentielles de l’entreprise, sa stratégie ou dénigrer un collègue. Dès lors, l’employeur peut sanctionner le salarié dont les publications publiques sur les réseaux sociaux causent un trouble manifeste à la marche générale de l’entreprise.
Un employeur peut-il interdire à ses salariés l’utilisation d’un réseau social ?
J.D. : En principe, il n’est pas possible pour l’employeur d’interdire à un salarié de manière absolue l’utilisation d’un réseau social, ne serait-ce qu’en raison du droit au respect de la vie privée. Cependant, dans le cadre professionnel, l’employeur n’est tout de même pas démuni. Il a en effet la possibilité de limiter certains droits du salarié ou en tout cas d’en éviter les abus, dès lors que sa décision est nécessaire au bon fonctionnement de l’activité.
S’agissant précisément de la sphère professionnelle, il parait très difficile de justifier une interdiction concernant une application qui semble par nature relever des activités personnelles du salarié. Ainsi, le salarié peut faire l’objet d’une sanction s’il abuse de l’utilisation de son téléphone personnel — sur une application, par exemple —, ce qui perturbe le bon déroulement de ses missions.
Dans l’exemple récent des décisions prises par les institutions européennes, l’objectif poursuivi est la sécurisation des données confidentielles. Il n’a ainsi à aucun moment été question d’interdire au salarié d’utiliser l’application sur son téléphone personnel dans le cadre de la vie privée. C’est bien le caractère particulier de l’activité des institutions et la protection des données professionnelles confidentielles qui justifient cette règle, contrairement à ce qui ressort de certains articles de presse.
Le salarié peut-il refuser de quitter l’application sur son téléphone personnel ?
M.C. : Il est très peu probable qu’une interdiction d’utiliser l’application sur le téléphone personnel puisse être considérée comme valable, compte tenu notamment du droit au respect de la vie privée. Dans ces conditions, le salarié n’encourt aucune sanction en refusant de la supprimer de son téléphone personnel.