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Tofane, la spectaculaire et discrète réussite d’Alexandre Pébereau


Ancien cadre dirigeant chez Vivendi et Orange et fils d’un ancien président de BNP-Paribas, Alexandre Pébereau a lancé Tofane Global en 2017.

Alexandre Pébereau - Tofane

Ancien cadre dirigeant chez Vivendi et Orange et fils d’un ancien président de BNP-Paribas, Alexandre Pébereau a lancé Tofane Global en 2017. En moins de cinq ans, le groupe parisien est devenu l’acteur indépendant numéro un sur le secteur des appels internationaux. Mais l’avenir du groupe télécoms français se joue ailleurs, du côté de la 5G et de l’internet des objets.

Vous avez découvert par hasard le monde des télécoms ?

Alexandre Pébereau : Ma carrière dans les télécoms a en effet démarré de manière fortuite. C’était en 2001, j’étais en interview avec le groupe Vivendi qui était en train de faire l’intégration d’Universal : ils devaient envoyer un responsable à New York pour superviser la transformation de l’entreprise sur le digital. P

endant ce processus, Vivendi a gagné l’appel d’offres pour la privatisation de Maroc Télécom face à France Télécom. Ils n’avaient pas prévu de battre le partenaire historique et n’avaient donc personne pour partir au pied levé au Maroc. Vivendi m’a alors proposé de devenir directeur général et financier à Rabat pour conduire cette privatisation, une autre forme de transformation. Au lieu d’aller à New York, je suis donc parti au Maroc.

Que représentait cette nomination ?

Conduire la privatisation d’un opérateur télécoms et transformer une société publique en entreprise privée cotée à la Bourse de Casablanca et de Paris au moment où le mobile se déployait était une chance extraordinaire, un challenge stimulant. Maroc Télécom était le premier opérateur à déployer le GSM sur le continent africain et le pays était en plein boom avec l’avènement de Mohammed VI.

Le mobile n’en était qu’à ses débuts

En 2001, personne n’imaginait que le mobile allait devenir un phénomène mondial. Avec 1,5 million de clients du fixe au départ et stimulé par la concurrence des nouveaux opérateurs, on a commencé à équiper tout le Maroc. Dix ans plus tard, il y avait autant de téléphones mobiles qu’il y a de Marocains (30 millions, Ndlr) ! Avec Maroc Télécom, j’ai découvert un nouveau pays, une nouvelle entreprise, un nouveau secteur. Je suis parti avec toute ma famille. On peut faire le parallèle avec l’entrepreneuriat. Quand on part diriger une entreprise à l’étranger, on s’engage complètement dans le projet, comme un entrepreneur.

Vous avez eu l’occasion de travailler aux côtés de Jean-Marie Messier, Vinent Bolloré et Thierry Breton. Que vous ont apporté ces dirigeants ?

Ce sont des modèles. Ces rencontres furent des accélérateurs.

Que vous a appris Vincent Bolloré ?

C’est un exemple. Il m’a appris à toujours être positif et à toujours arriver avec une solution lorsqu’il y a un problème dans l’entreprise. C’est ce que je demande dès le premier jour à chaque membre de mon équipe aujourd’hui : toujours prévenir dès qu’il y a un problème et proposer des solutions. Vincent Bolloré m’a appris une seconde chose : donner envie aux partenaires financiers de vous accompagner et être tenace. Quand on va voir un investisseur, il faut se distinguer avec un projet qui apporte un rayon de soleil parmi beaucoup de projets plus uniformes, et tenir bon jusqu’à la signature.

En 2017, vous avez lancé Tofane. Pourquoi ?

J’ai souvent choisi de tracer ma propre voie dans mes choix. J’avais envie d’avoir ma propre entreprise, une envie qui s’est renforcée aux côtés de Vincent Bolloré. Je n’avais encore jamais franchi le pas de l’entrepreneuriat car les projets qu’on me proposait étaient plus stimulants que de lancer ma propre entreprise.

Votre connaissance du secteurs des télécoms vous a-t-elle aidé ?

Chez Orange, lorsque je dirigeais la filiale Orange International Carriers, j’ai constaté que le secteur ne comptait pas d’indépendants, pas d’entrepreneurs, et qu’il n’y avait que des très grands groupes (Orange, Vodafone, Tata Communications…) dans le top 10. Or les autres opérateurs plus petits avaient besoin de solutions compétitives indépendantes de ces acteurs qui étaient aussi des concurrents dans leurs marchés nationaux respectifs. Et certains étaient prêts à vendre leur J’ai donc saisi l’opportunité de créer un acteur indépendant, Tofane Global, pour offrir cette alternative à ceux qui n’étaient pas des groupes multi-nationaux de télécoms et qui étaient vendeurs : SFR, Royal KPN, Portugal Télécom… Ainsi, Tofane leur a permis de monétiser une activité non stratégique, tout en offrant une gestion profitable de leurs communications internationales.

Vous avez donc saisi l’opportunité qui se présentait…

En raison du déclin de ce secteur et de leurs besoins d’investir dans la fibre ou la 5G, les opérateurs télécoms essaient de vendre leur filiale. Mais il y a peu d’acheteurs car les autres opérateurs comme Orange ou Vodafone possèdent déjà la leur et n’ont donc pas besoin d’en acheter une autre. Avec ses cinq acquisitions en 3 ans, Tofane est devenu l’acheteur indépendant de référence. C’est en effet cette opportunité que j’ai voulue saisir. Nous allons continuer à reprendre les filiales internationales non stratégiques de groupes télécoms et développer nos plateformes pour les nouveaux usages de communications internationales.

Les appels internationaux ont-ils encore un avenir à une époque où Skype et Whatsapp sont utilisés par des milliards d’utilisateurs ?

Ce constat est au cœur de notre pari. Quand j’ai pris la direction d’Orange International Carriers en 2009, l’industrie savait déjà que les appels téléphoniques allaient décliner. Mais on faisait ce constat depuis 1995 quand Skype est né ! Tout le monde pensait que les appels seraient très vite gratuits. 25 ans plus tard, les appels internationaux représentent encore un marché de 12 milliards d’euros pour 400 milliards de minutes. Pour chaque habitant de la planète, cela représente une durée moyenne de dix minutes par mois avec un proche ou un professionnel à l’étranger, et vingt minutes via Skype et les autres applications. Même s’il décline lentement en valeur, ce marché est encore là.

Quelle est la position de Tofane sur ce secteur des appels téléphoniques internationaux ?

Nous sommes devenus le troisième acteur du marché en termes de chiffre d’affaires, derrière Vodafone et l’indien Tata Communications, mais le premier indépendant. On est désendetté. C’est ce qui nous permet aujourd’hui d’investir dans les nouveaux secteurs de communications internationales en croissance : SMS Application-to-Person, plateformes intégrées et programmables. Nous voulons proposer ces services internationaux sur les nouvelles générations de télécoms : la 5G, le cloud et l’internet des objets.

Quels sont les exemples concrets d’application de l’internet des objets ?

Nous avons développé une solution pour garantir la connectivité des voitures où qu’elles se trouvent. Nous équipons indirectement certains véhicules du groupe Volkswagen avec nos cartes SIM embarquées. Quand une voiture est exportée dans un autre pays, le concessionnaire peut activer la carte SIM, elle se connectera sur le réseau de télécom local et pourra ainsi communiquer les données techniques de la voiture à distance.

Comment avez-vous financé le développement de Tofane ?

Quand j’ai quitté Orange, j’ai créé Tofane et financé les audits des premières acquisitions avec mes économies pour montrer la validité du modèle et mon engagement. Au niveau du capital, le management et moi-même détenons 30 % des titres, tandis que les investisseurs institutionnels (SCOR, Ciclad, Trocadero et premières acquisitions avec mes économies pour montrer la validité du modèle et mon engagement. Au niveau du capital, le management et moi-même détenons 30 % des titres, tandis que les investisseurs institutionnels (SCOR, Ciclad, Trocadero et Swen Capital Partners) en possèdent 70%.

Envisagez-vous d’introduire Tofane en bourse sur Euronext Paris ?

Nous allons déjà poursuivre la consolidation dans ce secteur et notre développement dans les nouveaux services. Mais à terme, afin d’accompagner notre croissance, nous envisageons en effet d’introduire Tofane à la bourse de Paris pour réaliser des acquisitions plus importantes. Mais pas avant deux ans.

Quel est votre objectif en termes de chiffre d’affaires ?

Tofane réalise 500 millions d’euros de chiffre d’affaires. Avec la réouverture internationale, on veut retrouver la croissance pour les dix prochaines années.

Propos recueillis par Victor Cazale

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