C’est un marché de niche, dominé par le groupe Belmond, filiale de LVMH depuis 2019, que cherche à bouleverser le groupe Accor. De prime abord, le positionnement de l’hôtelier, plus connu pour ses structures entrée et milieu de gamme que son expérience dans le domaine de l’ultra-luxe, a tout d’un pari démesuré.
Belmond, c’est une présence cinquantenaire dans le secteur du très haut-de-gamme, 35 hôtels de luxe, 3 croisières fluviales, des restaurants dans plus d’une vingtaine de pays et 6 trains touristiques exploités à travers le monde. Parmi eux, l’Orient-Express, devenu Venise-Simplon-Orient-Express, est sans doute l’un des fers de lance de la renommée du groupe, qui propose des voyages Paris-Istanbul, Paris-Venise ou encore Venise-Amsterdam.
Un leader incontesté, du moins jusqu’à aujourd’hui, et l’annonce du groupe Accor, qui veut titiller le géant du luxe sur le segment des trains-croisière. D’un point de vue sectoriel, Belmond fait en effet la course en tête d’un marché ultra-concentré, en possédant 6 des 15 trains de luxe circulant dans le monde.
Des trains-croisières mythiques
Outre l’Orient-Express, le groupe Belmond peut aussi compter sur d’autres lignes, tout aussi mythiques. Parmi elles, le Royal Scotsman, un train de luxe traversant les Highlands écossaises, pour des circuits allant de 2 à 4 nuits, à partir d’Édimbourg. Jusqu’à très récemment, Belmond exploitait aussi le Belmond Grand Hibernian, qui promettait une traversée de l’Irlande. Loin de se limiter uniquement à l’Europe, Belmond est aussi implanté en Amérique du Sud, où il exploite depuis 2017 le Belmond Andean Explorer, le premier train-couchette de luxe du sous-continent, qui promet une ascension jusqu’à 4 800 mètres, avant notamment d’arriver au lac Titicaca.
En Asie du Sud-Est, le Eastern Oriental Express traverse la Thaïlande, la Malaisie et Singapour. Deux trains de jour, le Belmond British Pullman au Royaume-Uni et le Belmond Road to Mandalay en Birmanie, complètent l’offre trains-croisière du groupe. Des lignes nouvellement ouvertes qui complètent certains itinéraires mythiques du ferroviaire de luxe. Et surtout, une inspiration esthétique issue des plus grands. Récemment, le réalisateur Wes Anderson (La vie aquatique, The Grand Budapest Hotel, The French Dispatch) a signé un décor pour une voiture du British Pullman, l’un des trains du groupe Belmond. Le style, pleinement fidèle à la tradition art déco, s’inscrit dans l’univers du cinéaste. Du très haut-de-gamme, donc.
L’inattendu positionnement d’Accor
Mais, depuis mercredi, c’est la perplexité qui règne dans l’univers tranquille des trains de luxe, et ce en raison d’une annonce inattendue : Accor a en effet annoncé la mise en route d’une série de trains Orient-Express, venant ainsi directement chasser sur les terres du groupe LVMH. En tout et pour tout, six trains, soit 70 voitures, ont été acquis par Accor, qui vise à proposer à sa clientèle une douzaine d’itinéraires pour des séjours de courte durée. Les premiers trains seront, selon Accor, opérationnels en 2023. Dans le Figaro, Sébastien Bazin, PDG d’Accor, annonce la couleur — et l’ambition — : « Faire d’Orient-Express un joyau du voyage et de l’hôtellerie ».
En bref, Accor tente de faire son entrée dans le monde de l’ultra-luxe, en commençant sur l’un des segments les plus compliqués et les plus fermés du marché. Guillaume de Saint Lager, vice-président d’Orient Express SAS, la nouvelle structure dédiée d’Accor, l’annonce clairement au Figaro : « Notre arrivée sur le marché vient rebattre les cartes ». Et vise, sans le dire, le groupe LVMH, implanté de longue date sur ce marché. Dans le domaine de l’ultra-luxe, un monde sépare pourtant Accor de son principal concurrent.
Rivaliser avec la force de frappe de LVMH
Le groupe Accor est en effet connu pour ses acquisitions dans l’hôtellerie économique et milieu de gamme, fer-de-lance de son portefeuille, avec ses marques les plus populaires, comme Ibis, Novotel, Mercure ou encore les Hôtels F1. Son positionnement dans le secteur du très haut-de-gamme, plus récent, lui a cependant permis de glaner quelques pépites européennes, comme le Royal Monceau, acquis en 2008. Mais le gros de ses hôtels de luxe est implanté en Amérique et en Asie, dont les codes sont bien éloignés des standards du Vieux continent. Là où LVMH est implanté de très longue date dans le secteur de l’hôtellerie ultra-luxe européenne, avec notamment la gamme Cheval Blanc.
Difficile aussi, pour Accor, de rivaliser avec la force de frappe économique de LVMH, qui a atteint près de 45 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2020, en passant quasiment sans encombre la crise sanitaire. Au contraire, Accor, en repli et en délicatesse du fait de la crise de la Covid-19, a vu son résultat net s’effondrer à -2 milliards d’euros en 2020, pour un chiffre d’affaires de 1,6 milliard d’euros. Une différence de standard donc, entre les deux groupes, tant sur le plan financier, que sur l’expertise dans un marché exigeant. Mettre de nouveaux trains haut de gamme sur les rails est sans doute possible. Les aligner sur les standards et le prestige de l’existant, beaucoup moins.