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Nicolas Faguier : « Les tribunaux de commerce broient les entrepreneurs »


Président de France Génoise, entreprise mise en procédure de sauvegarde en 2008, l’entrepreneur nantais dénonce dans un ouvrage au vitriol (Euthanasie économique, Editions Baudelaire) les pratiques des administrateurs et des mandataires, les deux figures centrales des Tribunaux de commerce. Désireux de ne pas « laisser cette sombre histoire aux oubliettes », Nicolas Faguier espère que son témoignage permettra de faire évoluer un processus inepte qui empoisonne les entrepreneurs.

Entreprendre - Nicolas Faguier : « Les tribunaux de commerce broient les entrepreneurs »

Président de France Génoise, entreprise mise en procédure de sauvegarde en 2008, l’entrepreneur nantais dénonce dans un ouvrage au vitriol (Euthanasie économique, Editions Baudelaire) les pratiques des administrateurs et des mandataires, les deux figures centrales des Tribunaux de commerce. Désireux de ne pas « laisser cette sombre histoire aux oubliettes », Nicolas Faguier espère que son témoignage permettra de faire évoluer un processus inepte qui empoisonne les entrepreneurs.

Dans quelles circonstances France Génoise a-t-elle dû se tourner vers une procédure de sauvegarde ?

En septembre 2008, sans solution, nous avons décidé de mettre l’entreprise en procédure de sauvegarde. Cette procédure très récente – nous étions la 7ème entreprise à y avoir recours sur Nantes – constitue un véritable progrès car on ne dépossède pas le dirigeant de la propriété de l’entreprise, contrairement à la procédure de redressement judiciaire, où l’administrateur en devient plus ou moins propriétaire. Elle accorde donc une seconde chance au dirigeant en lui reconnaissant un droit à l’erreur pour redresser lui-même la situation.

À quel moment les choses ont-elles basculé ?

Durant les 18 mois de procédure, l’administrateur et le mandataire n’ont cessé de nous mettre des bâtons dans les roues avec pour seul objectif, avoué en public, de revendre l’entreprise, de nombreux repreneurs s’étant manifestés. Cela dépasse la culpabilité de passivité, il y avait une volonté de nuire. Ce fut un combat assez dingue mené sans relâche durant un an et demi avec des séquences ahurissantes.

L’administrateur a refusé d’appliquer une ordonnance que le juge commissaire avait rendue : il mettra deux mois à l’exécuter après que notre avocat ait écrit au Procureur et au Président du tribunal. Aux termes des 6 premiers mois, le mandataire a été sommé par le procureur de vérifier le passif dans un délai assez court.

En juin 2009, il n’avait toujours rien fait malgré différentes relances et une promesse orale au juge. J’ai dû me déplacer à son bureau accompagné d’un autre juge pour qu’il avoue n’avoir fait le travail qu’à 40% ! Il n’avait pas même envoyé les demandes de justifications et autres documents, sa collaboratrice argumentant que cela n’avait pas été jugé utile…

Ces comportements délirants reflètent l’état d’esprit des mandataires et des administrateurs qui jouissent d’une très large liberté. Ils n’ont aucun compte à rendre ni aux juges, puisqu’ils n’en dépendent pas hiérarchiquement, ni au président du tribunal de commerce. Je les surnomme « les barons » : ils se savent incontournables et appliquent les règles comme bon leur semble avec une désinvolture déconcertante.

Quelles leçons en avez-vous tiré de cette séquence ?

Elle m’a permis de comprendre le fonctionnement des administrateurs et des mandataires. Ils ont intérêt à jouer la carte de la « liquidation-cession » pour gagner un maximum d’argent et revendre l’entreprise. C’est ce procédé lapidaire que j’ai nommé « l’euthanasie économique ». Le système actuel broie des entrepreneurs et ruinent les créanciers (dont l’État !). Le coût économique des tribunaux de commerce est énorme… et pourtant masqué. Les tribunaux de commerce font peur et les chefs d’entreprises attendent souvent trop avant de prendre LA décision qui s’impose. Des craintes qui sont malheureusement justifiées.

De quelles données disposons-nous pour mesurer ces agissements ?

Les statistiques sont très alarmantes : 99% des entreprises qui déposent le bilan finissent en liquidation. Chaque année, entre 500 et 600 entreprises finissent de payer leur plan de remboursement, pour environ 60.000 dépôts de bilans, soit environ 1% de « survivants » au carnage orchestré.

Nous avons deux fois plus de dépôt de bilan en France que dans les pays qui nous entourent. Est-ce à dire que les entrepreneurs français sont-ils plus incompétents que les autres ? Je ne le crois pas. De nombreux ouvrages ont déjà été écrits sur ce système vicié, souvent décrit comme une mafia organisée (sic).

Comment éviter l’écueil du « tous pourris » ?

Ce n’est pas le sens de ma démarche, je souhaite juste démontrer à quel moment le process du tribunal est défaillant. Je ne souhaitais pas rentrer dans ce procédé de simplification et de caricature qui consiste à tout jeter en déclarant que tous les acteurs sont des profiteurs. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage aux juges : nous avons tout au long de la procédure côtoyé des juges dévoués, très disponibles qui se sont investis à nos côtés.

J’ai parfois vu les juges animés par un certain désarroi face aux actions des administrateurs et des mandataires sur qui ils n’ont quasiment pas la main. J’ai mis en lumière la défaillance du système qui conduit 99% des entreprises à l’abattoir avec le syndrome associé du dépôt de bilan suivi d’une dépression et se soldant par un divorce. Les tribunaux de commerce devraient être des hôpitaux destinés à « guérir » les entrepreneurs et les entreprises mais ils sont en réalité des abattoirs.

Comment expliquer cette situation et ces dérives ?

À partir du moment où une entreprise est en difficulté, personne n’a intérêt à l’aider financièrement : le système gagne de l’argent sur l’entreprise qui sera liquidée. Nous devons mettre le doigt sur ceux qui ne font pas leur travail. Les administrateurs et les mandataires sont au cœur du dysfonctionnement.

Ils n’ont pas d’expérience d’entrepreneur et font partie des plus gros salaires en France (en moyenne entre 300 et 400K€ nets par an). Leur mode de rémunération et leur statut sont particulièrement pervers. Ils ne coûtent rien à l’État, on peut donc légitimement s’interroger sur la provenance de cet argent.

Quelle est son origine ?

Le mandataire est principalement payé sur un pourcentage du passif : plus il y a de dettes, plus sa rétribution augmente. Lorsqu’une entreprise est mise en liquidation, il reste toujours de l’argent. A partir du moment où vous figez vos dettes, vous constituez un matelas de trésorerie, leur intérêt étant de s’accaparer ce matelas et les actifs. Lorsque nous avons essayé de renégocier notre dette, notre mandataire s’y est naturellement opposé. Cette mécanique est perdante pour tout le monde…

Et en ce qui concerne les administrateurs ?

Ils touchent le jackpot à partir du moment l’entreprise est en liquidation cession et qu’il y a des repreneurs. Il est rétribué sur le chiffre d’affaires, le nombre de salariés et les actifs cédés… Financièrement, aucun des deux acteurs n’a donc intérêt à sauver l’entreprise en l’état sous peine de voir ses émoluments diminuer. Leur obsession de retrouver des repreneurs s’explique assez simplement.

Quid du statut des mandataires et des administrateurs ?

Leur statut relève d’un archaïsme qui en surprendra plus d’un. Ils bénéficient d’un monopole local ! Ainsi, le tribunal de commerce local est dans l’obligation de faire travailler tout administrateur ou mandataire ayant un bureau dans la ville. C’est simple : ils sont donc indéboulonnables.

Comble du comble, alors qu’ils sont auxiliaires de justice et donc assermentés par l’État, ils ont un statut libéral. Ils peuvent librement facturer au titre « d’avocat conseil ». Notre administrateur était donc officiellement « avocat d’affaires ». Peut-on imaginer un seul instant qu’un gendarme ou un policier soit en parallèle détective privé ?

Au-delà de la dimension financière, vous mettez également en cause l’équilibre entre les différents acteurs du processus, notamment en ce qui concerne les juges.

Les juges étant bénévoles et débordés de dossiers, ils ne peuvent pas s’investir sur le terrain – ce n’est d’ailleurs pas prévu juridiquement -, les administrateurs sont donc chargés, en théorie, de cette mission. Au départ de cet immense gâchis, il y a ce non-sens : on demande à des juristes (les administrateurs et les mandataires) de redresser des entreprises issues de tous les secteurs d’activité confondus, c’est impossible !

Redresser une entreprise en difficulté nécessite une expérience entrepreneuriale et une connaissance métier. Sont-ils vraiment à leur place ? Ce sont des techniciens du droit mais pourquoi leur demander quelque chose qui n’est pas dans leur champ de compétences ? Ils gagnent beaucoup trop bien leur vie et entretiennent des réseaux leur permettant d’avoir un niveau de liberté sans limite. Le process même des tribunaux de commerce est un process perdant. Il existe une espèce d’omerta autour de cette terrible vérité : seulement 1% des entreprises survivent à la procédure.

Votre livre pose la question de la relation des entrepreneurs à l’échec. En quoi l’échec peut-il enclencher une dynamique vertueuse ?

Dans notre culture, essayer puis échouer est très stigmatisant et dégradant sur le plan social. Echouer est pourtant intrinsèque à toute initiative ! Les tribunaux de commerce sont le reflet de ce rapport à l’échec : le chef d’entreprise est dévalorisé, puni d’avoir échoué et perd toute forme de légitimé.

Le regard porté sur l’échec doit changer et les mentalités évoluer. L’échec doit être possible sans être systématiquement synonyme d’un voyage sans retour. Il faut sortir du schéma binaire : tu réussis… ou tu perds tout. Pour avoir plus d’emplois, il faut plus d’entrepreneurs et pour cela il faut éviter de créer un risque quasi mortel socialement en cas d’échec.

Entreprendre, c’est prendre le risque de connaître un échec, il ne doit pas être stigmatisant, bien au contraire. Un entrepreneur « guéri » de son passage à vide devient un super entrepreneur. L’entrepreneur « achevé » en décourage combien d’autres de se lancer ?

Quelles solutions préconisez-vous pour mettre fin à ce scandale ?

Le système actuel est particulièrement injuste et destructeur de richesses. Mais le plus tragique, c’est qu’il brise la « moelle » de la création d’emploi : les entrepreneurs. La procédure de « sauvegarde » instaurée constitue un réel progrès mais il faut aller plus loin. La procédure de sauvegarde devrait être quasi systématique, le redressement judiciaire ne devant être utilisé qu’en cas de défaillance avérée du dirigeant.

Il est également essentiel de réformer le statut, la rémunération et le rôle des administrateurs et mandataires. Il faut aussi apporter une véritable aide et un vrai soutien aux entrepreneurs en difficulté – coaching sur le modèle de l’émission « Cauchemar en cuisine » -, puis redresser l’entreprise main dans la main avec le dirigeant.

Créer un écosystème d’investisseurs qui viennent aider (et non achever) les entreprises en difficulté serait une idée à développer. En clair, nous devons repenser notre système de gestion de défaillance des entreprises.

Sur quels ingrédients avez-vous misé pour relancer France Génoise ?

L’humain, en associant les salariés au capital. Nous avons créé une dynamique positive où tout le monde est allé dans la même direction. On sous-estime souvent la force du consensus. Chez France Génoise, nous essayons de faire en sorte que chaque salarié soit acteur du changement, le changement étant continuel. Le second ingrédient est l’innovation et l’investissement. Nous sommes dans une logique de recherche permanente d’amélioration des produits existants. Nous défrichons également des idées ou concept produits avec un regard « disruptif ».

Comment France Génoise a-t-elle rebondi ?

Nous sommes sortis de procédure en mars 2010 avec pour impératif d’augmenter le capital de la société de façon significative. En raison des circonstances, la solution consistait à trouver de l’argent auprès de personnes uniquement intéressées pour aider l’entreprise sur le plan financier.

Je suis passé dans l’émission de Stéphane Soumier sur BFM Business afin de lancer un appel à investissements, la pratique du crowfunding était alors encore assez peu courante. Nous avons retenu quatre investisseurs particuliers et un industriel qui ont injecté des sommes raisonnables allant de 5.000 à 30. 000 euros.

Les 12 salariés de l’entreprise sont également rentrés au capital. Nous avons donc pu réaliser une augmentation de capital de l’entreprise qui s’est finalisée en juin 2010, portant le capital de 40.000 à 290.000 euros, ce qui était plus que ce qu’avait demandé le Tribunal (200.000 euros).

Nous sommes partis sur plusieurs années de combat afin de relancer l’entreprise, la repositionner, relancer un cycle de performance interne et recréer une dynamique commerciale afin de reprendre prise avec le marché. En l’espace de 5 ans, nous avons doublé notre chiffre d’affaires et investi 500K€ sur fonds propres car nous n’avions pas accès au crédit.

En 2015 et 2016, la société a dégagé des résultats plus que corrects avec une capacité d’investissement significative. En 2017, nous avons réussi à racheter l’entreprise à tous les actionnaires rentrés au capital en 2010. Il existait un pacte de sortie à 5 ans et tous ont pu partir avec des plus-values intéressantes.

Quels conseils donneriez-vous aux entrepreneurs en difficulté ?

Il faut s’entourer, ne pas rester seul et demander conseil à d’autres chefs d’entreprises. Un regard extérieur et expérimenté peut parfois venir à bout de problématiques qui ne trouvaient pas de solution depuis des mois. Sans oublier de prendre un bon avocat !

Tribunaux de commerce : l’Euthanasie économique
de Nicolas Faguier

Editions Baudelaire

182 pages

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