Par Jean-François Couëc, Président du Groupe Kardham
Diminution ou réaménagement des surfaces occupées, éclatement des lieux de travail, relocalisation vers des quartiers plus centraux, la période post-Covid rebat les cartes de l’immobilier professionnel. Au moment où les collaborateurs rechignent à revenir au bureau, les entreprises doivent aussi réfléchir à la valeur ajoutée de la présence sur site. Car un beau bureau, bien aménagé et bien situé, ne pourra pas être le seul remède à la « grande démission ».
Retour en force des localisations centrales
Si la crise sanitaire a entrainé une redéfinition des stratégies immobilières, elle appelle en même temps de nouvelles opportunités du côté des RH. Avec l’accélération du travail hybride et la réduction des surfaces, on peut supposer que les entreprises délaisseront progressivement la périphérie urbaine au profit de zones plus centrales. Cette relocalisation peut d’ailleurs constituer un véritable levier d’attractivité, en particulier pour les jeunes talents : à coût immobilier constant, être au cœur de la ville offre des aménités certaines aux yeux des collaborateurs qui veulent travailler dans un environnement sécurisé, animé où ils pourront profiter d’une vie de quartier lors de leur pause méridienne.
Autre exigence forte de cette période post-Covid : un accès simple aux moyens de transport. Avec l’éclatement des lieux de travail, les salariés ont pris le large. Alors, quand il faut revenir sur site, tout doit être fluide et rapide. Cette nouvelle exigence accentuera certainement un regain d’intérêt pour des quartiers d’affaires bien desservis ainsi que pour ceux autour des gares. En revanche, la relocalisation des bureaux vers le centre-ville pose la question du devenir et du rendement locatif des actifs situés en périphérie.
L’espace de travail, remède à la grande démission ?
Contrairement à la croyance du marché selon laquelle le bureau, dans sa dimension intérieure, servirait à attirer des talents, c’est donc bien sa localisation qui semble désormais remonter à la première place des critères de choix des candidats. Ainsi, un bureau offrant un service de conciergerie mais qui serait mal placé ne présenterait que peu d’intérêt. Pour autant, un lieu de travail central, accessible, connecté, serviciel et offrant un parcours utilisateur optimal est-il suffisant pour motiver les collaborateurs à revenir au bureau ? Certainement pas. Désormais, le lieu de travail doit leur proposer une expérience humaine suffisamment attractive pour les inciter à quitter leur domicile. Une situation inédite dans l’histoire du travail, car personne n’aurait imaginé il y a cinquante ans dire à son employeur « Donnez-moi une bonne raison de retourner au bureau » ! « La grande démission » de la période actuelle questionne donc aussi les modes de management et l’expérience collaborateur : puisque l’on peut effectuer ses tâches à distance, quelle valeur ajoutée proposer au salarié quand il sera sur site ? Que va-t-il se passer humainement sur son lieu de travail ? Comment animer différemment les réunions collectives et les one-to-one imposés aux collaborateurs ?
Le sens, la dimension psychologique et la dynamique relationnelle sur le lieu de travail vont devenir essentiels. Le bureau ne retrouvera son attrait que s’il offre de vrais moments et espaces de convivialité. Cela n’a l’air de rien, mais dans la période industrielle, le bistro en sortie d’usine était un lieu de repère pour tous les travailleurs. Le bureau doit permettre de se forger sa propre identité, de tisser des liens humains, des histoires et des souvenirs communs qui construiront la mémoire individuelle et collective. Les salariés, et notamment les jeunes, n’auront plaisir à revenir que dans un lieu où ils existent et où leur manager leur montre qu’ils existent.
Le lieu et le lien
Au-delà de l’aspect matériel, c’est donc la dimension immatérielle du bureau qu’il faut reconsidérer. Plus qu’un espace de travail, les organisations doivent recréer un lieu de travail qui redonnera de la valeur et du sens à la présence sur site. La période actuelle doit les inciter à revoir le management de l’espace, autrement dit repenser tous les moments où le salarié sera physiquement présent dans l’entreprise. Recréer cette dynamique implique nécessairement d’engager une démarche de conduite du changement en matière de culture d’entreprise, de management et de management de l’espace. Une approche de fond « du lieu et du lien », mêlant des disciplines comme la psychosociologie ou l’ethnologie, qui explore tous les ressorts des relations humaines et de l’identité d’équipe. Au final, le bureau doit devenir un véritable lieu de ressources, pour bien travailler certes, mais qui offre aussi une expérience sociale riche propice à tisser les liens d’une histoire collective.