Le dossier était sensible, et dans une impasse diplomatique depuis plus d’un an, par le blocage systématique de la République Tchèque qui s’en servait de monnaie d’échange… Une tribune de Romain Gérardin Fresse, expert juridique, membre de la Fédération Nationale des Chambres Professionnelles du Conseil, et fondateur-associé du Cabinet GFK Conseils-Juridis.
Cela faisait pourtant trois ans que la Commission Européenne s’était montrée favorable à l’application d’un régime spécial de taxation sur les publications numériques, entendu comme tel les livres électroniques ou les journaux en ligne, de sorte à l’aligner sur l’édition papier.
Conformément à la directive TVA, les États membres peuvent en effet appliquer un taux réduit de TVA aux publications imprimées telles que les livres, les journaux et les périodiques. En revanche, les publications numériques doivent être soumises au taux normal de TVA.
Subtilité supplétive, si le contenu numérique est livré sur un support type cédérom, alors le taux réduit de TVA est rendu applicable.
La question de l’égalité de traitement avait d’ailleurs déjà été posée à la Cour de Justice de l’Union Européenne, qui s’était prononcée dans son arrêt du 7 Mars 2017 lors de l’examen l’affaire C-390/15, à la requête de la Cour Constitutionnelle Polonaise.
Un sujet épineux
La Cour constatait d’ailleurs en préambule que, sic, « dans la mesure où la directive TVA a pour effet d’exclure l’application d’un taux réduit de TVA à la fourniture de livres numériques par voie électronique alors qu’une telle application est autorisée pour la fourniture de livres numériques sur tout type de support physique, les dispositions de cette directive doivent être regardées comme instaurant une différence de traitement entre deux situations pourtant comparables au regard de l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union lorsque ce dernier a permis l’application d’un taux réduit de TVA à certains types de livres, qui est de favoriser la lecture. »
Pour autant, elle rappelait de manière explicite qu’ « admettre que les Etats membres aient la possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA à la fourniture de livres numériques par voie électronique, comme cela est permis pour la fourniture de tels livres sur tout type de support physique, reviendrait à porter atteinte à la cohérence d’ensemble de la mesure souhaitée par le législateur de l’Union, qui consiste à exclure tous les services électroniques de la possibilité d’application d’un taux réduit de TVA. »
En somme, la Cour de Justice de l’Union Européenne considérait qu’il y avait primauté du principe visant à disposer que tout service électronique ne peut bénéficier d’une quelconque minoration du taux de TVA.
Un problème de cohérence
Certains pays réfractaires, tels que la France, avaient cependant l’intime conviction qu’un sérieux problème de cohérence se posait.
En cela, si la minoration du taux applicable était motivée par le principe de favorisation de la lecture, comment pouvait-on refuser de revoir à la baisse celui adjoint aux mêmes contenus, mais proposés sur des supports dématérialisés, et ce alors même que la lecture sur ces supports concerne près de 72% des lecteurs réguliers ?
Faisant fi d’ailleurs de la directive européenne en la matière, la France était passée outre en alignant dès 2012 et 2014 les taux de TVA des e-books (passés de 20 à 5,5 %) puis des journaux en ligne (de 20 à 2,1 %) sur ceux applicables aux publications papier.
Cela lui a d’ailleurs valu condamnation par la Cour de Justice en 2015, mais demeurée au stade de la condamnation de principe, dépourvue de principe coercitif.
La République Tchèque elle, n’en a pas tant à faire de la réduction du taux sur les publications concernées.
Mais comme toute directive fiscale, pour que le projet soit entériné, il est nécessaire d’obtenir l’unanimité des 28 États-Membres.
Autoliquidation de la TVA
Or, il y a un autre point qui tient particulièrement à cœur de la Tchéquie ; celui de l’autoliquidation de la TVA, promesse de campagne du gouvernement actuel aux entreprises du pays.
Problème : ce point d’anicroche effraie quelque peu certains autres États-Membres, considérant, à juste titre, qu’un tel mécanisme faciliterait les fraudes à grande ampleur et éviderait le sens du marché unique.
La République Tchèque avait déjà usé de ce stratagème de blocus lors de l’approbation du projet européen de lutte contre l’évasion fiscale en 2016, qui était resté suspendue à son bon vouloir.
Le principe de la prise d’otage, qui commence à exaspérer quelque peu ses voisins européens, aura fini par payer ;
Un rendez-vous est prévu en octobre prochain, aux fins de dénouer la problématique de l’autoliquidation.
Si un accord était trouvé, alors la réforme fiscale sur la TVA attenante aux publications dématérialisées pourrait être entérinée, et la France serait désormais en régularité avec les édictions européenne.
Romain Gerardin-Fresse est expert juridique et fondateur du Cabinet GFK Conseils-Juridis. Spécialiste des stratégies d’entreprise et conseiller renommé de nombre de dirigeants, il signe chaque mois une tribune autour d’un sujet d’actualité.