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Une fin de règne inexorable ?


La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS Que peut-on faire contre ce qui est inexorable ? Rien sans doute, car ce qui est inexorable est inaccessible à l’être humain. L’illusion est donc toujours de croire que l’action de l’homme a une vertu définitive et apporte paix et sérénité ! L’histoire des civilisations...

Entreprendre - Une fin de règne inexorable ?

La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS

Que peut-on faire contre ce qui est inexorable ? Rien sans doute, car ce qui est inexorable est inaccessible à l’être humain. L’illusion est donc toujours de croire que l’action de l’homme a une vertu définitive et apporte paix et sérénité !

L’histoire des civilisations montre trop souvent, au contraire de nos rêves, que l’avènement d’une société idéale, stable et sereine, ne peut exister. Car l’évolution de notre monde est une sorte d’engrenage mécanique, le plus souvent incontrôlable qui, d’événement en événement, suit sa propre évolution, avec ses bouleversements, ses espoirs et ses échecs, chaque jour étant la source d’un autre dont on ne sait rien et qui sera lui-même une des causes multiples de l’inattendu.

Le « sable du temps » symbolise l’écoulement du temps, comme dans un sablier et on dit souvent qu’un grain de sable suffit à bloquer le fonctionnement d’une machine, d’un rouage et, par extension, ce terme désigne une petite perturbation anodyne qui vient bloquer tout un système, une organisation humaine, une stratégie, un projet politique…

En réalité, rien n’est purement accidentel et tout ce qui explique notre présence sur cette planète n’est que le résultat d’implications globales multiples et sans fin, les effets d’une mécanique imparfaite construite comme un assemblage de rouages complexes, qui interagissent entre eux pour empêcher un fonctionnement lisse et sans écueil de la société.

Depuis l’apparition des premiers hommes, quelque part en Afrique, il y a près de 2,5 millions d’années, plusieurs espèces ont évolué et se sont répandues sur la planète. Les tribus, les groupes puis les sociétés humaines n’ont cessé d’influer sur le devenir de l’humanité par leurs actes. Cela s’est fait au fil des siècles, petit à petit et de plus en plus rapidement, parfois d’une façon exceptionnellement brutale. Il faut être relativement naïf ou aveugle pour ne pas s’en rendre compte, quand on prend en compte l’histoire telle qu’on a pu l’analyser au moins depuis la plus lointaine antiquité égyptienne, environ 4.000 ans avant Jésus-Christ.

On prend alors conscience du poids et des effets du progrès, des évolutions technologiques, de l’impact de l’imagination et du choc des idées en mouvement. Mais, en même temps, on se heurte à l’inertie des fondations de nos organisations sociales successives, les socles granitiques de la pensée sociale, c’est-à-dire les caractéristiques fondamentales de la nature humaine et des relations qui se tissent entre les hommes. Car en dépit des progrès et des évolutions intellectuelles, les fondations sont restés les mêmes, toujours ancrées dans les immuables qualités, défauts et travers de l’âme humaine.

«  La décadence d’une société se mesure beaucoup moins à la grandeur des vices qu’on y pratique qu’à la bassesse des vertus qu’on y honore. »

La longue histoire de l’humanité

Oscar Wilde avait un jour écrit : « L’erreur de Louis XIV, c’est qu’il a cru que la nature humaine serait toujours la même. Le résultat de son erreur s’appelle la Révolution française. » Les mauvaises gestions portent toujours en elles quelque chose d’impitoyable. Il est curieux que cet écrivain, romancier, dramaturge et poète irlandais se soit ainsi particulièrement intéressé au manque de vision d’avenir de notre roi soleil, despote français de l’absolutisme de droit divin. Sans doute voulait-il démontrer, en prenant l’exemple de ce roi terriblement français et symbole vénéré de la vanité de l’orgueil des puissants de ce monde. Ce roi à l’incroyable longévité représente ce qu’est l’esprit sclérosé d’un souverain bouffi de certitudes qui croyait, comme nombre de dirigeants d’hier et d’aujourd’hui, détenir la vérité sur l’avenir du monde.

Louis XIV aurait dit au moment de mourir : « Je m’en vais, Messieurs, mais l’État demeurera toujours » ! Preuve d’une certaine méconnaissance de ce qui avait fait l’histoire du monde, et de la France, avant lui, et de son aveuglement sur ce qu’il avait apporté à son royaume.

En remontant le cours du temps sur près de 66 millions d’années, on pense que la disparition soudaine des dinosaures est due à la collision entre un astéroïde de 12 km de diamètre et l’océan bordant la Mexique. En même temps, trois quarts de la vie terrestre qui aurait été victime de l’explosion et du dégagement de fumées et de poussières ayant provoqué un refroidissement climatique extrême, un événement naturel hors du commun !

On a souvent cru que les mammouths avaient eux aussi disparu sous les glaces, puisqu’on en a retrouvé beaucoup, parfaitement conservés dans le permafrost en Sibérie ou en Alaska. Mais en fait, non, les mammouths ne sont pas morts de froid, mais curieusement d’une combinaison de plusieurs facteurs, un réchauffement climatique à la fin de la dernière glaciation, une hausse de l’humidité et la disparition des aliments de base de cette espèce. Les mammouths n’ont pas pu s’adapter, ils ont été décimés et ont fini par s’éteindre.

On se dit que l’histoire se répète de nos jours, pour d’autres raisons, désormais liées à l’activité humaine. La lutte contre le réchauffement climatique aura sans doute raison d’un million d’espèces animales et végétales qui pourraient disparaître de notre planète dans les décennies à venir.

Louis XIV

Pour en revenir à Louis XIV, ses deux plus grandes erreurs, dans une liste en réalité beaucoup plus longue, sont la révocation de l’Édit de Nantes et la construction dispendieuse de Versailles. Rappelons qu’il est le petit-fils d’Henri IV, qui avait connu en 1572, la Saint-Barthélemy, ce massacre programmé des protestants de Paris. Converti, ce roi tolérant fera promulguer en 1598 l’Édit de Nantes, pour mettre fin aux guerres de Religion qui ravageaient le royaume depuis trente ans. On accorda aux protestants des droits religieux, civils et politiques, de la sécurité et la garantie d’un subside annuel pris sur le trésor royal.

Comme on le sait, Louis XIV, mal conseillé et influençable, révoquera cet Édit en 1685 privant ainsi les protestants des droits obtenus 90 ans plus tôt. Le roi organisa la répression des protestants par les « dragonnades » restés dans les mémoires, ce qui provoqua la révolte des Camisards dans les Cévennes en 1702. Peu à peu, les protestants français, harcelés, même dans leurs maisons et places fortes par les soldats du roi, se sont convertis au catholicisme ou plus généralement, ont massivement émigré en Angleterre, aux Pays-Bas, en Allemagne ou en Suisse, renforçant ainsi ces pays avec leurs compétences, leur industrie, leur argent et leurs relations. C’est le cas, par exemple, de l’essor de l’industrie horlogère en Suisse. Il reste, sans aucun doute, pour ces exilés, rejetés par les leurs, une haine farouche de notre pays

Cet exemple est révélateur de l’impact que peut avoir sur l’avenir une décision politique inconsidérée. C’est avec ce genre d’action que Louis XIV prépara en partie la chute de la France et créa certaines conditions de la Révolution 60 ans plus tard, pour ses descendants. Les historiens ont toujours hésité pour dépeindre le roi soleil, entre l’image du monarque belliqueux et dépensier, avec ses rêves de grandeur, et le souverain amoureux des arts, bâtisseur d’un État moderne, fable dispensée aux écoliers du XXe siècle.

En fait, le coût exorbitant en argent (Versailles) et en vies humaines (les guerres menées pendant 50 ans), ont conduit le pays au bord du gouffre. Au soir de sa vie, Louis XIV a connu parallèlement une dérive autoritaire, religieuse et sanguinaire. Son intransigeance en matière de religion est devenue obsessionnelle à l’égard de tout ce qui était hérétique à ses yeux, ce qui explique l’aversion affirmée des britanniques.

Les guerres mondiales du XXe siècle

Le traité de Versailles a aidé à la naissance du nazisme, il est donc en partie responsable des millions de mort et de l’holocauste. Ce traité de paix signé du 28 juin 1919 visait à punir ceux qui sont perçus comme étant les seuls responsables des horreurs de la Première Guerre mondiale. La date de sa signature avait été choisie pour marquer l’anniversaire de l’attentat de Sarajevo, historiquement considéré comme l’acte déclencheur de cette tragédie. Si ce traité annonce la création de la Société des Nations (SDN), il détermine surtout les sanctions prises à l’encontre de l’Allemagne et de ses alliés.

Les frustrations que le traité de Versailles fera naître, ainsi peut-être que les déséquilibres qu’il engendrera, ont joué un rôle non négligeable dans la politique européenne des décennies suivantes, et notamment l’arrivée au pouvoir du Chancelier Hitler et de ce qui en est ressorti, dans une Allemagne poussée aux limites de la misère. En effet, le paiement des réparations représentait une lourde charge pour l’Allemagne des années 20. Selon les termes de plusieurs accords postérieurs, le paiement des réparations devait s’échelonner jusqu’en 1988. On connait l’impact de la crise de 1929 sur les économies mondiales, l’arrivée des nazis en 1933, et leur décision de refuser toute idée d’indemnisation.

Des lendemains à craindre

On peut toujours regarder l’histoire en revenant sur les « images d’Épinal » du passé et en tentant de comprendre ou d’analyser objectivement la succession des causes et des effets. Mais le spectacle des succès et des erreurs historiques, dans l’emboîtement irrémédiable des événements, ne semblent jamais devoir servir de leçons aux nouvelles générations afin d’éviter de réitérer les drames connus et le lent dérèglement de la vie sur terre. À commencer par la question de la surpopulation et de l’accroissement des besoins qui sont les germes d’une potentielle fin de l’humanité.

Mais rien ne semble devoir changer dans les comportements absurdes d’aujourd’hui ! Comme je l’ai déjà précisé, il faut être idéaliste, crédule, naïf ou particulièrement inconscient, pour ne pas se rendre compte des problèmes que rencontre actuellement notre monde. Il faudrait enfin prendre conscience que, d’année en année, d’événement en événement, notre société change et que les décisions d’aujourd’hui auront un impact, positif, mais souvent négatif, sur ceux du lendemain.

Aujourd’hui, mieux informés, ou habilement manipulés, les citoyens, notamment en France mais aussi en Europe, ont conscience que le temps s’accélère et que les évolutions attendues ne sont pas en harmonie avec ce qu’ils attendent de la démocratie. Je parlais la semaine dernière de la notion de la politique « hors sols » de nos dirigeants.

Si, à l’inverse, au lieu de contempler le passé pour comprendre notre histoire, on acceptait de regarder les incohérences de notre quotidien et de notre proche avenir, on comprendrait que, pour l’essentiel, les raisons qui expliquent les soubresauts de notre monde résident dans le socle des « sociétés », c’est-à-dire, dans les fondations de l’âme humaine.

Un monde violent

Le monde est violent car l’homme est un prédateur. Il y a toujours un César, un Napoléon, un Hitler, un Poutine…

Pour ne parler que de la France qui compte près de 70 millions d’habitants et dont les prisons débordent d’environ 70.000 détenus.

Si on simplifie le raisonnement en ne comptabilisant pas les récidives, et les allers et retours entre les cellules et la liberté, le ratio est d’au moins 1/1000. Et je ne parle que de délinquance, atteintes aux biens ou aux personnes, sans évoquer les affaires criminelles. Quand on circule en voiture sur nos routes, combien de délinquants croisons-nous ? De quoi être vigilants et attentifs !

Mais cette absence de respect de l’autre, que l’on vit au quotidien, dans les familles, dans les cours des écoles, au travail, on la trouve partout dans un monde violent. Contrairement à Jean-Jacques Rousseau qui affirmait que l’homme naissait naturellement bon et heureux, c’est la phrase de Thomas Hobbes qui traduit le mieux la nature humaine : « L’homme est un loup pour l’homme » !

Cette absence de justice et de paix entre les individus, au sein des familles et des petits groupes humains, on ne peut que la retrouver dans l’organisation politique. Comment demander aux représentants du peuple d’être différents de ceux dont ils sont censés porter la voix ? La société démocratique porte en elle-même cette violence. Dans l’Antiquité, en Grèce, la démocratie était un régime politique dans lequel les citoyens exerçaient la souveraineté et disposaient du pouvoir. De nos jours, on se contente d’une définition plus banale, celle d’un régime politique dans lequel le peuple élit ses représentants. Mais dans l’esprit des électeurs, on croit toujours que l’élu doit « porter la voix des citoyens », ce qui n’est plus le cas. Une fois l’élection acquise, les élus s’estiment libres et légitimes d’exercer ce qui est devenu un « métier », alors qu’il était et aurait dû demeuré un « engagement » qui « oblige » !

Et la violence décrite chez les individus, la fondation ancestrale, elle demeure ancrée dans les caractères. En témoignent les déclarations intempestives et les comportements irrespectueux des uns, les abus de pouvoir et la suffisance des autres. Les citoyens sont abasourdis devant tant de situations inattendues, ils ressentent que les institutions sont en voie d’effritement. Le principe de base, c’est le bien commun. Sans rentrer dans un débat sur la légitimité de l’élu, cette notion doit rester centrale. Le bien commun, la sérénité collective, l’amélioration du bien-être populaire.

La démocratie remplacée par l’oligarchie

Contrairement à ce que tout le monde affirme en rêvant d’y croire et en l’affirmant face à des régimes dictatoriaux et belliqueux, la France, mais aussi la Communauté Européenne à certains égards, n’est pas une démocratie, au sens étymologique du terme, mais une sorte d’aristocratie, en réalité, une oligarchie. Contrairement à l’aristocratie de l’ancien régime qui se fondait sur les princes et les seigneurs, la noblesse (d’épée ou de robe), l’oligarchie est un régime politique au sein duquel le pouvoir est exercé par un groupe restreint d’individus, généralement une caste ou une classe sociale de la population, en général ceux qui possèdent ou se sont octroyés la puissance financière. Cette forme de gouvernement repose sur le principe que seule une partie des citoyens dispose des compétences et des connaissances nécessaires pour gérer un pays. C’est donc le monde de l’argent et du profit.

Car il faut le reconnaître, le monde politique de notre pays, est, au moins en partie, lié par des intérêts communs, au monde des sociétés multinationales et du capitalisme supranational. Il semble que désormais tout ne soit plus centré que sur l’âpreté au gain, l’argent, les profits (le plus souvent les surprofits), et l’enrichissement personnel. On peut traduire le ressentiment général par ces mots « L’économie de l’injustice et la soif du profit personnel ». C’est, un jour ou l’autre, une situation qui peut devenir intolérable et peut conduire à l’explosion,un « remake » de 1789, car personne ne traite les questions apparemment insolubles  de l’injustice sociale et de l’inégalité des chances et des richesses.Et pourtant nos leaders politiques tendent l’oreille..

« J’ai pu échanger avec les Français, sans le poids du pouvoir qui déforme les rapports humains. Ils m’ont dit leurs espoirs, leurs incompréhensions et parfois aussi leurs déceptions. J’ai vu monter comme une marée inexorable le désarroi, le rejet, la colère à l’endroit du pouvoir, de sa majorité mais plus largement de tout ce qui touche de près ou de loin à la politique » Mais entendent-ils vraiment ?

Dans les enquêtes d’opinion les plus récentes, on parle de plus en plus de la nécessité de mieux répartir la « valeur », sujet qui préoccupe les Français, après les inquiétudes liées à l’âge légal de départ en retraite, et après la baisse du pouvoir d’achat et la hausse de l’inflation.

Les citoyens des classes moyennes s’interrogent sur les inégalités flagrantes des français devant l’impôt et, en conséquence, se demandent quel emploi est fait de l’argent public. Et pour aller plus loin dans ce domaine, nombreux sont ceux qui s’interrogent, dans un pays finalement plutôt « riche » sur les raisons qui expliquent qu’il y ait encore autant de misère à notre époque, et peut-être même plus qu’il n’y en avait dans les années 50 après la seconde guerre mondiale.

C’est à croire que les organisations « démocratiques » semblent incapables de protéger les citoyens. Où et comment un régime politique comme celui de notre République, qui devrait être fondé sur le développement et la protection du bien-être collectif, peut-il à ce point-là avoir échoué dans le projet de répartition plus juste des bénéfices de la croissance.

Conclusion

Comme on a pu le vivre dans le passé, des événements apparemment anodins, et sans rapport avec le quotidien, ont souvent entraîné, plusieurs années, voire plusieurs décennies plus tard, des troubles définitifs. C’est le cas de la Révolution de 1789. Cela aurait pu être le cas, en mai 1968, où l’État a perdu momentanément la main. On aurait sans doute été à la catastrophe sans les ressources de conviction d’un général de Gaulle, un temps retrouvé en dépit de son âge, et qui, pour rappel, demeure à date le seul président « vierge de toute affaire » de la Ve République.

Les Gilets jaunes et, depuis 2023 la réforme des retraites, non pas sur le fond, mais sur la forme et la stratégie politique utilisées, pourrait être des « grains de sable » potentiellement capables de gripper la machine, de coincer les rouages et de bouleverser le microcosme politique français actuel.

L’issue de toute époque est donc inexorable ! Pour reprendre mon propos introductif : « Les mauvaises gestions portent toujours en elles quelque chose d’inexorable ».

Rappelons que cet adjectif, rarement utilisé, qualifie d’abord des comportements dans ce qu’ils sont insensibles aux prières, sans pitié, inflexibles, voire impitoyable. Par extension, on qualifie de même les événements qui sont inévitables, inéluctables, ce à quoi on ne peut pas se soustraire, ce qui aura lieu quoi qu’il arrive.

Bernard Chaussegros

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