La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS
Il faut parfois revenir aux notions fondamentales pour évoquer des sujets actuels. Dans un monde en perpétuelle évolution, il n’est pas rare de s’interroger sur le fait que l’on ne tire aucun enseignement du passé. À titre d’exemple, comment peut-on, en 2022, s’engager dans un conflit meurtrier susceptible de dégénérer, alors que tous les peuples européens ont été marqués dans leur chair par les déflagrations des deux conflits mondiaux du XXème siècle ?
C’est pure folie et c’est faire peu de cas des enseignements de l’Histoire du monde contemporain ? Mais c’est sans doute une simple question d’éducation et de formation ! Au sortir de la guerre, en 1945, on estimait que la formation, notamment celle des élites, éviterait aux démocraties de renouer avec les années de massacre.
Beaucoup plus prosaïquement, on imagine depuis bientôt près d’un siècle, que la formation des jeunes générations est la condition nécessaire et indispensable à la construction d’un monde parfait. Parallèlement, l’évolution des technologies et la vitesse de diffusion de l’information ouvre un abîme entre le niveau de formation des jeunes et la réalité du terrain, c’est-à-dire la réalité des besoins du marché du travail. Et c’est très souvent, en faisant ce constat, que l’on s’interroge sur la logique de l’organisation des cycles d’études en France, de l’école primaire à la dernière année de lycée, et sur la rentabilité des enseignements dispensés en termes de lutte contre le chômage.
On a parfois du mal à l’accepter, mais il semble, par exemple, que le niveau d’intelligence pratique des bacheliers d’aujourd’hui (95 % d’une classe d’âge) atteint péniblement celui des élèves du certificat d’études d’il y a un siècle ? Certes, les milléniums disposent de compétences évidentes dans des matières qui étaient encore inconnues en 1920, mais qu’en est-il des connaissances fondamentales ? Dans leur grande majorité, les jeunes gens des générations X, Y et Z manquent de bases et abordent le monde du travail comme on entre dans un jeu vidéo. Ils raisonnent peu et sont très influencés par les réseaux sociaux, ils ne savent rien du calcul mental, ils écrivent mal leur propre langue et parlent à peine une langue étrangère, et ils lisent peu ou pas du tout.
La formation est « tout » ! Cette vision n’est pas nouvelle et les exemples ne manquent pas. Socrate, Rabelais ou Montaigne en avaient parfaitement saisi les enjeux, ce qui n’a pas empêché de nombreux gouvernements, au demeurant jacobins, de cristalliser les programmes de formation dans des carcans liberticides pour l’esprit.
Les mots grecs « Gnothi seauton », ou « Connais-toi toi-même », figuraient au fronton du temple d’Apollon à Delphes, où enseignait Socrate, la citation complète étant « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux ». Cette maxime était destinée à rappeler aux disciples du philosophe la nécessité de demeurer humbles devant les dieux et de se souvenir que l’homme n’est fait que de passions, de défauts, d’opinions, et qu’il est donc faible en comparaison des dieux, donc de l’univers.
Au XVème siècle, l’éducation humaniste telle que la prône Rabelais est donc une éducation globale, où tous les domaines se valent, où le corps et l’esprit sont en harmonie, un enseignement où le plaisir se confond avec la leçon, et dans lequel on tendra toujours à découvrir davantage de savoir. C’est ce qui peut se traduire par avoir une véritable confiance dans les capacités innées de l’être humain.
La qualité de la formation est le thème central de Gargantua. Dans ce livre, le maître d’école du héros, Ponocrates, impose à son élève un apprentissage pluridisciplinaire.
Au XVIème siècle, c’est au tour de Montaigne d’envisager, pour la formation des jeunes élèves, l’objectif de leur ouvrir le cerveau à une grande capacité d’adaptation. La phrase célèbre de Montaigne « Une tête bien faite vaut mieux qu’une tête bien pleine » serait une reformulation d’une citation de Plutarque qui disait : « Car l’esprit n’est pas comme un vase qui a besoin d’être rempli ; c’est plutôt une substance qu’il s’agit seulement d’échauffer ; il faut inspirer à cet esprit une ardeur d’investigation qui le pousse vigoureusement à la recherche de la vérité »
Le système de formation français
Depuis la réforme de Jules Ferry en 1882 qui a rendu la scolarité obligatoire, l’idée a progressivement évolué en un système « d’éducation ». Cela étant, on doit se souvenir de l’engagement des « hussards noirs de la République », tels que les avait qualifiés Charles Péguy en 1913, pour désigner ces instituteurs combatifs, engagés dans la formation des jeunes générations, pour la défense de la laïcité et de l’école de la République. Mais, petit à petit, l’estime que l’on portait à nos instituteurs laïcs qui contrebalançaient par leur ouverture d’esprit, l’obscurantisme des ecclésiastiques, a été peu à peu et sournoisement remplacée, notamment après 1968, par la mise en cause systématique de l’autorité de l’État, et de ses missions régaliennes. « Il est interdit d’interdire », criait-on alors !
Il faut dire que l’État y a mis du sien ! Tout particulièrement en ajoutant des réformes aux réformes. On n’en compte pas moins de 12 entre 1975 et aujourd’hui. Il n’est pas question dans cet article de revenir en détail sur toutes ces évolutions. On peut simplement écrire qu’elles ont largement contribué au nivellement par le bas de la formation des enfants de France.
À ce titre, l’invention du « collège unique » est exemplaire. La réforme consistait à unifier les structures administratives du premier cycle en supprimant la distinction entre les CES et les CEG, qui devenaient tous des collèges. Quelle que soit le parcours des élèves en primaire, il unifiait les structures pédagogiques en mettant fin à l’organisation de la scolarité en filières. C’est ainsi que les nouvelles sections sont devenues « indifférenciées ». La répartition des élèves dans les classes s’effectuait dorénavant sans distinction, dans une volonté d’hétérogénéité qui a finalement noyé les compétences individuelles. C’est en effet cette hétérogénéité des publics scolaires (niveau et origine sociale), qui va induire les importantes difficultés rencontrées dans la gestion des classes et qui va empêcher l’adaptation réelle de ces nouveaux élèves.
Autre exemple illustrant bien ce constat de nivellement par le bas, la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005, dite d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, qui a mis en œuvre des priorités destinée à élever le niveau de formation des jeunes Français :
- – Faire réussir tous les élèves
- – Redresser la situation de l’enseignement des langues
- – Mieux garantir l’égalité des chances
- – Favoriser l’insertion professionnelle des jeunes et l’emploi.
C’est dans le même esprit que la réforme de 2009 avait comme objectifs de réduire les inégalités, de mieux préparer les lycéens à l’enseignement supérieur, de les associer davantage à la vie de leur lycée et de passer d’une orientation subie à une orientation choisie et réversible.
Ce que l’on peut déduire de ces nombreuses réformes, lesquelles étaient animées par une véritable ambition de donner une chance à tous les enfants en âge scolaire, c’est qu’elles étaient également contraintes par une idéologie égalitariste inatteignable.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire dans un éditorial, on peut légitimement s’interroger sur l’adéquation entre la demande des employeurs et le niveau réel de formation des nouvelles générations. En dehors des jeunes qui ont suivi des études réellement qualifiées de « supérieures » (et non artificiellement baptisées comme telles) et qui ont de réelles chances de trouver un emploi, nombreux sont ceux qui, titulaires d’un baccalauréat général classique, relativement dévalorisé en 50 ans, auront énormément de mal à trouver un emploi, tant est grande l’inadéquation de leurs compétences aux demandes des entreprises.
Il convient de noter que les réformes mises en place par les pouvoirs publics sont toujours axées sur une politique « d’éducation » et non « d’enseignement ». Et pourtant, comme chacun le sait, le rôle de l’État n’est pas prioritairement d’éduquer (c’est là le rôle et la mission des familles), il est de former les jeunes générations à pouvoir s’insérer dans le monde du travail. L’absence d’une réelle politique de formation, tant au collège qu’au lycée, puis à l’université, met en cause la responsabilité des décideurs politiques. Pourquoi s’obstiner à emmener 95% des classes d’âge entières au Bac, si c’est pour « donner » à ces étudiants un diplôme dépourvu de valeur ? Pourquoi suggérer aux bacheliers de suivre un cursus universitaire quand on sait parfaitement qu’il est sans avenir, puisqu’il est sans débouchés ?
Il a été décidé, dans les années 80 de favoriser le parcours général au détriment du parcours professionnel. Cela semblait vouloir dire qu’il était méprisable de travailler de ses mains. Mais aujourd’hui, les chiffres le prouvent, le pays manque de main-d’œuvre qualifiée. Il est très difficile pour un commerçant ou un artisan de trouver des ouvriers compétents et motivés, et encore moins d’apprentis.
La vision péjorative qui a été donnée par l’État des parcours qualifiants CAP/BEP/BAC PRO a écarté de ces filières un nombre non négligeable de candidats qui n’ont finalement aucune qualification utile, ni pour eux, ni pour le marché de l’emploi. Qui plus est, on note que ces jeunes chômeurs (puisque c’est ce qu’ils deviennent tôt ou tard), outre qu’ils sont dépourvus de compétences professionnelles, sont de facto déçus par la société qui les a ainsi laissés de côté et sont en manque de motivation. Ces jeunes générations, qui sont souvent titulaire d’un Bac, voire d’un Master, aux compétences souvent floues, sont incapables de répondre aux exigences des offres d’emploi disponibles.
Une évolution du monde de la Connaissance
Le monde, aujourd’hui évolue plus vite qu’il n’a jamais évolué. Nos grands-parents, ceux qui sont nés au début du XXème siècle, seraient abasourdis à la vue du monde dans lequel nous évoluons, parfois à tâtons, et auquel nos propres enfants doivent faire face ! Outre les progrès accomplis dans des domaines connus depuis plus d’un siècle, comme les moyens de transport (voitures, avions et trains), nos ancêtres seraient absolument désorientés face à l’évolution des technologies de l’information et de la communication.
Et ceux d’entre nous qui ont suivi et se sont adaptés aux changements suscités par l’informatique et la communication virtuelle sont parfois surpris par la vitesse de l’évolution technologique. Les jeunes gens d’aujourd’hui doivent s’attendre à de plus grandes évolutions encore et être vigilants sur e qui peut être à la fois facteur de progrès et moteur d’aliénation.
Ils ont désormais accès à des outils digitaux, mais en ont-ils la maîtrise ou la conserveront-ils longtemps ? La question fait débat ! Mais elle implique des évolutions dans la formation qu’ils reçoivent. Autrefois, on parlait de la nécessaire formation continue, afin de se tenir informé de l’évolution, alors raisonnablement lente, de la Connaissance. Aujourd’hui, c’est au jour le jour que l’esprit doit être vigilant sur le devenir du monde, des mentalités et des techniques. La virtualité est porteuse de nouveaux dangers, notamment de celui de la perte d’identité, de l’enfermement, de l’isolement, de l’individualisme.
De nouveaux modes de formation voient le jour, à travers des écoles virtuelles. Ces formations doivent nous apprendre à conserver ou recréer le lien sociétal parfois oublié ou méprisé. Il faut continuer d’apprendre à vivre ensemble et à apprendre ensemble. N’oublions pas que les sociétés dans lesquelles nous vivons en Europe sont, peu ou prou, fondées sur la théorie du Contrat social qui unit un même peuple, une même nation, même élargie au périmètre du village planétaire, en une société régie par des droits et des devoirs.
Les nouveaux modes de fonctionnement, les nouveaux métiers, tout cela doit s’apprendre, sans toutefois abandonner les réflexes anciens, les principes fondamentaux que nous évoquions, conserver une méthodologie et une organisation mentale individuelle mais orientée vers le bien commun, et ne pas cesser de promouvoir la valeur « travail ».
Une révolution pour des formations utiles
Un esprit bien organisé
La formation des étudiants, telle qu’on pourrait l’envisager dans le monde actuel, ne devrait plus porter systématiquement sur une obligation d’accumulation encyclopédique de notions dont ils ne sauront que faire. D’ailleurs, il suffit de consulter la table des matières des livres scolaires, de la primaire au lycée, pour s’apercevoir qu’on leur fait reprendre, d’année en année, les mêmes thèmes des mêmes matières, sans aucun esprit critique. Et les méthodes imposées aux enseignants sont de reprendre perpétuellement les mêmes routines. Rares sont en effet ceux d’entre eux qui tentent de s’écarter des programmes officiels pour ouvrir l’esprit de leurs élèves à la réflexion personnelle. Et quand ce n’est pas l’administration qui vient mettre un terme à de pareilles initiatives, ce sont les parents eux-mêmes qui viennent se plaindre de ce que le programme, notamment pour les années clôturées par un examen, n’a pas été totalement « vu », et que leurs enfants n’ont donc pas pu « tout apprendre » ! Hallucinant !
En réalité, il conviendrait de fournir aux élèves les outils leur permettant d’accéder par eux-mêmes à la Connaissance, plutôt que de les abreuver d’une masse d’informations qu’ils ne « digéreront » pas. Une « formation » utile est, en cela, différente, de l’enseignement pratiqué de nos jours ! Une « formation » utile doit conduire les élèves, bien avant qu’ils ne soient étudiants à l’université, à être capables d’adaptation. Il ne s’agit pas, pour eux, de « recracher » à la demande des informations qu’ils ont apprises par cœur, sans être capable d’un tant soit peu d’esprit critique, mais de réfléchir !
La formation, c’est avant tout d’apprendre à utiliser son intelligence et non pas de thésauriser les éléments d’une culture déjà digérée par les institutions. C’est cette capacité d’adaptation aux problèmes rencontrés qui fera de l’élève une personne bien formée disposant des outils utiles à la réflexion et à la discussion. La formation, c’est donner le goût de l’analyse, de la synthèse et de la décision éclairée.
Un esprit formé au travail
Cette idée va de soi, et elle complète l’idée de l’esprit bien organisé. Le travail. Combien sont-ils ces élèves qui s’ennuient en primaire, au collège et encore plus au lycée, car ce qu’ils y font, ce qu’ils y entendent durant les cours magistraux, est trop simpliste par rapport à leur niveau de réflexion ? Le principe fondamental, c’est bien de leur donner les outils nécessaires à réaliser un travail personnel.
Et qui dit « travail » dit aussi respect de la « valeur travail » ! Il s’agit d’une notion fondamentale pour l’équilibre individuel et collectif ! Le travail permet de réfléchir, de raisonner, puis de créer et de produire, voire d’entretenir des biens et des services. S’il arrive que ce soit dans un monde sans liberté d’entreprendre, il existe aussi une vision du travail qui est libératrice et qui est facteur d’identification et de satisfaction sociale.
Par opposition, il faut se défendre de la mainmise sur l’économie par cette déviance qui consiste à considérer la spéculation financière comme un travail. Certes, dans le langage commun des financiers ou des possesseurs de capital, l’argent travaille, mais avec quel objectif ? Le gain pour le gain, et donc le profit comme seule justification du profit ! Peu importe le devenir de ceux qui voudraient travailler et pointent au bureau de Pôle Emploi.
La logique du profit, la volonté de privilégier la possession de richesses à l’épanouissement humain a contribué à renforcer considérablement les inégalités, au sein de notre nation, comme à l’échelle du monde. Ce qui fait que la question mérite d’être ainsi formulée : former les citoyens à avoir un esprit bien fait, capable de prendre de la hauteur sur le quotidien des problèmes, et les convaincre que, par leur travail, ils vont participer à la réalisation du bien commun !
Focus sur l’école « futurae »
C’est sans doute pour toutes les raisons évoquées dans le présent article que certaines initiatives voient le jour, par exemple pour imaginer des écoles novatrices. Beaucoup sont eux qui s’inquiètent de l’inadéquation entre le niveau de formation fourni par la puissance publique et les besoins des entreprises, en prenant par là-même en compte les inquiétudes des étudiants qui sortent un peu perdus de leur parcours universitaire.
C’est l’exemple donné par l’école futurae, sous l’égide de sa présidente-fondatrice, Virginie CALMELS, « une entrepreneuse et un manager » dont notre pays aurait grand besoin, école dans laquelle les étudiants savent pouvoir trouver des réponses innovantes dans le monde un peu stratifié de la formation.
Les maîtres-mots de cette formation sont l’employabilité, la potentialité et l’agilité. Sa pédagogie est réputée novatrice. Elle entend, en effet, rapprocher les étudiants du monde économique, dont ils sont pour beaucoup très éloignés, les aider à constituer un réseau, valoriser leur potentiel, grâce aux sciences cognitives, tenir compte de leurs motivations réelles et leur donner les clefs du savoir-être, par la connaissance de soi.
Face à des métiers qui évoluent de plus en plus vite, il est nécessaire d’adapter les programmes à l’innovation technologique et au monde de demain, futurae anticipe les grandes mutations du monde économique.
Ainsi que l’explique Virginie CALMELS, futurae est née du quintuple constat suivant :
- – 85% des emplois de 2030 n’existent pas encore, mais on sait que le digital et les compétences de l’image et de la créativité seront clés dans le monde de demain
- – Les études supérieures ne préparent pas suffisamment à la vie active
- – 23,5% des jeunes actifs sont au chômage, tandis que plus de 100.000 offres d’emploi ne sont pas pourvues par manque des compétences adéquates
- – La mobilité professionnelle deviendra la norme dans le futur
- – Il convient de connecter plus étroitement les besoins réels des entreprises et la formation des talents.
Pour paraphraser Aristophane « enseigner ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer une étincelle » et chez futurae ce ne sont pas les performances passées des étudiants qui nous intéressent mais leur potentiel à venir !
Bernard Chaussegros