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Par Eric Delannoy* Devant l’urgence d’une transformation profonde de l’économie pour répondre aux défis sociaux et environnementaux, et face à l’incapacité historique de l’économie sociale et solidaire (ESS) d’imposer son modèle de fonctionnement et ses valeurs à l’économie de marché, il est temps de créer un choc systémique en mobilisant...

Eric Delannoy

Par Eric Delannoy*

Devant l’urgence d’une transformation profonde de l’économie pour répondre aux défis sociaux et environnementaux, et face à l’incapacité historique de l’économie sociale et solidaire (ESS) d’imposer son modèle de fonctionnement et ses valeurs à l’économie de marché, il est temps de créer un choc systémique en mobilisant tous les acteurs économiques qui œuvrent déjà pour une économie à impact positif, ou qui ont engagé la transformation de leurs modèles d’affaire. S’appuyer à la fois sur les pionniers de l’entrepreneuriat social et sur les entreprises du monde capitaliste qui ont compris qu’il n’est plus possible de continuer à gagner dans un monde qui perd, n’a rien d’une confusion ou d’une dilution des valeurs des premiers.

L’initiative de Pascal Demurger et de Julia Faure qui prendront la co-présidence du Mouvement Impact France (MIF) vise à mobiliser l’ensemble du monde économique et à amplifier le mouvement déjà à l’œuvre de création de modèles d’entreprises hybrides, bien plus puissant que la promotion de simples coalitions. Ces entreprises mettent en effet leur dynamique au service du bien commun, considèrent que la performance financière n’est pas une fin en soi, mais constitue le moyen le plus sûr pour accroître la performance sociale et environnementale.

C’est bien là le sens de « l’ouverture exigeante » voulu par les deux co-présidents, qui commence par la volonté de faire entrer de nouveaux acteurs au sein du Conseil d’administration du MIF, tout en renouvelant deux tiers des administrateurs issus de l’entrepreneuriat social et du mouvement historique.

La polémique que cette nouvelle ambition pour le MIF suscite n’est donc pas à la hauteur des enjeux. Elle se nourrit d’une double idéologie, démentie par la réalité, qui voudrait d’une part que le statut d’entrepreneur social confère une légitimité de fait qui l’exonère de faire la preuve de son impact, d’autre part que gagner de l’argent est par nature incompatible avec la capacité à avoir un impact positif sur la société : la fameuse lucrativité limitée. L’ESS parlant à l’ESS, ce sont précisément ces vieilles lunes idéologiques qui ont empêché qu’elle se diffuse dans l’ensemble de l’économie.

Car, force est de constater que l’entrepreneuriat social se déploie plus efficacement dans les secteurs non ou faiblement concurrentiels, alors qu’il a tendance à perdre son âme dans les autres secteurs, adoptant, quelquefois jusqu’à la caricature, les modes de fonctionnement de ses concurrents capitalistes.

Par ailleurs, l’agrément ESUS (Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale), institué par la loi Hamon de 2014, censé définir l’entreprise sociale, « phare avancé de la transition écologique et solidaire », s’avère être un échec, tant par les promesses de contreparties non tenues que par le faible nombre d’élus. Par exemple, en gardant le SMIC comme référentiel absolu de l’échelle des rémunérations, la loi Hamon exclut de l’ESS les entreprises à forte valeur ajoutée économique des secteurs concurrentiels, obligées de payer cher leurs salariés, selon les usages de ces secteurs. Ce qui n’empêche pas nombre d’entre elles de mettre leur dynamique d’entreprise au service des transitions sociales et écologiques.

Au final, remplacer le SMIC par le salaire le plus bas de l’entreprise, fait partie de ces premières mesures d’hybridation. En effet, passer de la limitation des rémunérations à la limitation des écarts de rémunérations, ne changerait rien pour les secteurs qui emploient des salariés au SMIC mais permettrait d’ouvrir l’ESS à toutes les entreprises qui agissent pour une société plus juste et plus durable, quels que soient les usages sectoriels en matière de rémunération, pourvu que les écarts soient respectés. Car dans notre perspective et dans certaines limites, ce n’est pas ce que chacun gagne qui importe mais bien ce qu’il apporte au bien commun.

Ces exemples illustrent que, seule, l’ESS, drapée dans la défense de ses vertus qu’elle ne met d’ailleurs pas toujours en acte, incapable par ailleurs de mesurer l’impact réel de ses activités, n’est pas à la hauteur des défis sociaux et environnementaux, n’ayant qu’un caractère transformant limité de l’économie. Et il est faux de prétendre que ne pas faire partie de la grande famille des entrepreneurs sociaux serait synonyme d’impact positif limité ou la certitude de sombrer dans le social washing.

L’enjeu est donc bien d’élargir la vision exigeante de l’entrepreneuriat social à l’ensemble des acteurs économiques qui y sont prêts et qui apportent la preuve de leur impact. L’arrivée de la CSRD va d’ailleurs fournir un cadre commun d’évaluation de l’impact extra-financier et viendra compléter les outils déjà existants pour caractériser l’engagement des entreprises, comme la comptabilité extra-financière, la qualité de société à mission ou les labels ISO 26000 (B-Corp, Lucie, Engagé RSE…).

Pour autant, trop souvent encore, beaucoup d’entreprises s’achètent une bonne conduite par des adaptations à minima de leurs modèles d’affaire ou un positionnement marketing vertueux à coup de millions mais n’hésitent pas à mettre des gens sur le carreau alors qu’ils engrangent des bénéfices record ou à pressurer leurs fournisseurs : la sincérité se lit dans la cohérence des actes. Afin de rassurer les pionniers, que la radicalité de l’engagement honore, la nouvelle équipe se doit donc de les associer à la construction des garde-fous et des critères de cette « ouverture exigeante ».

Si la capacité à mesurer son impact, la qualité sociale et environnementale de ses modèles d’affaire et la cohérence de ses pratiques demeurent les témoins indispensables de la sincérité d’une entreprise engagée pour une société plus juste et plus durable, le niveau d’ambition qui est mis dans le partage de la valeur en reste le levier majeur. Dans un contexte de fonctionnement responsable, ce n’est pas tant la lucrativité qui pose problème que ce qui en est fait. Aussi devons-nous collectivement mettre sur la table l’évolution de la notion de lucrativité limitée, chère à l’ESS, vers la lucrativité partagée, notamment en militant pour la généralisation du dividende sociétal ou écologique. Car la répartition de la valeur dit beaucoup à la fois de la solidarité, des conditions de travail et des moyens qu’une entreprise est prête à consacrer à la transformation de ses modèles d’affaire.

Le sens de l’histoire est donc bien dans l’union des forces qui travaillent pour une société plus juste et plus durable, ce qui suppose l’occultation des statuts au profit de la reconnaissance des impacts de chacun et la transformation sincère de tous les secteurs. Mais la première étape reste de se parler, s’écouter et se respecter, plutôt que de prendre ses distances.

Eric Delannoy

*Investisseur dans plusieurs entreprises à impact, Eric Delannoy est Fondateur et Président du cabinet Tenzing – www.tenzingconseil.fr – cabinet de conseil en stratégie opérationnelle qui met sa dynamique d’entreprise au service de la lutte contre le déterminisme social. Société à mission faisant partie de l’ESS, Tenzing souhaite faire la preuve qu’un capitalisme durable exigeant sur la mixité sociale et le partage de la valeur est possible.

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