Pandémie fantôme, c’est le nom qu’Antonio Guterres, Secrétaire Général de l’ONU, a donné à « l’horrible flambée de violence domestique » que le monde connaît depuis le début de l’année, et qui s’est amplifiée avec le confinement de près de quatre milliards de personnes tout autour de la planète.
« Les souffrances humaines causées dans le monde par la pandémie du COVID-19 », a-t-il déclaré, « sont inouïes, et de nombreuses femmes et jeunes filles se retrouvent particulièrement exposées à la violence précisément là où elles devraient en être protégées. Dans leurs propres foyers ».
1500 milliards de dollars
Avant l’apparition de la Covid-19, la violence domestique représentait déjà un phénomène d’ampleur. L’an dernier, dans le monde, près de deux cent cinquante millions de femmes ont subi des agressions physiques ou sexuelles de la part d’un mari ou d’un compagnon ; pourtant, elles ont été moins de 40% à demander de l’aide ou à porter plainte auprès des services de police.
« Si nous ne faisons rien », a alerté Phumzile Mlambo-Ngcuka, la directrice exécutive d’ONU Femmes, « cette pandémie fantôme aggravera également l’incidence économique du Covid-19. À l’échelle mondiale, le coût économique de la violence à l’égard des femmes a déjà été estimé à plus ou moins 1 500 milliards de dollars. Ce chiffre ne peut qu’augmenter, car la violence s’intensifie aujourd’hui et se poursuivra au lendemain de la pandémie ».
Si la conscience de la gravité de ce sujet devient universelle, la prise en charge de ses victimes par la société est récente, et date seulement des années soixante-dix. Le premier refuge pour celles qu’on appelait alors des femmes battues ouvre ses portes en 1971 dans la banlieue de Londres. En France, c’est Hélène de Beauvoir qui fut la première, dans les mêmes années, à attirer l’attention sur ce grave problème de société, sensibilisée à cette cause par un terrible fait-divers alsacien : un homme avait jeté sa femme par la fenêtre !
Elle décida alors d’aider celles qui subissaient de telles agressions, et, dans ce but, créa en 1978, l’association SOS Femmes ; nous avons été quelques-unes, dont moi, à la rejoindre et à fonder avec elle, à Strasbourg, le premier refuge destiné à accueillir les victimes de violence conjugale.
App-Elles
A cette époque, les réseaux sociaux et Internet n’existaient pas encore, et le seul moyen de protéger ces victimes, c’était de les faire partir de chez elle, et de les mettre à l’abri dans des foyers où on les regroupait entre elles, ce qui n’était pas toujours bien vécu et se ressentait parfois comme une punition. Mais le monde a évolué, et nous avons maintenant les moyens de la technologie ; les géants de ce secteur, Google, Facebook et Twitter se sont associés à ONU Femmes pour mettre des informations et des ressources à sa disposition.
Google a ainsi récemment fourni une aide d’un million de dollars, à travers son programme « Ad Grants Crisis Relief Programm », qui aide les associations à se faire connaître et à répondre au mieux, entre autres, aux demandes des millions de femmes que le confinement a piégées et qui se retrouvent en permanence surveillées par l’homme avec qui elle sont forcées de cohabiter. Heureusement pour elles, il existe maintenant des applications qui leur permettent d’appeler à l’aide sans que leur compagnon s’en rende compte ; c’est le cas notamment d’App-Elles, développée par l’association Résonantes, et téléchargeable gratuitement sur Google Play.
Une nuit à Saint Just
La tragédie qui s’est déroulée dans la nuit du 22 au 23 décembre dernier à Saint Just est en tous points révélatrice de ce que sont les actes de violence familiale, et du profil psychologique de ceux qui les commettent. Ce sont des hommes totalement immatures et exagérément narcissiques, au point de ne supporter aucune frustration ; oser leur résister est à leurs yeux un crime de lèse-majesté, qui mérite une sévère punition. Les nombreuses restrictions imposées par les indispensables mesures de protection sanitaire les ont rendu encore plus dangereux. Animés dans leur vie par une volonté forcenée de contrôle, ils ont vu leur fantasme de toute-puissance mis à mal par la gestion sociétale de la Covid-19, et se défoulent comme ils peuvent en augmentant jusqu’à l’insupportable leur mainmise sur leurs compagnes.
Le meurtrier des trois gendarmes est comme un cas d’école de cette pandémie fantôme. Il concentre, en effet, à lui tout seul, tous les éléments de dangerosité qu’on peut trouver chez un être humain, et que la pandémie a porté à leur paroxysme : il s’agit d’un homme socialement isolé, en conflit permanent de garde avec la maman de sa fille, affichant des convictions survivalistes, limite d’un délire paranoïaque, sur la certitude d’une fin du monde imminente. Chez ce type de personnalité profondément perturbée, certains discours alarmistes sur la pandémie actuelle, présentés comme scientifiques, et faisant référence à la peste noire du Moyen-âge et à la grippe espagnole de 1919, responsables chacune d’à peu près cent million de morts sur la planète, alimentent la confusion mentale, et peuvent malheureusement créer les conditions d’un passage à l’acte irréversible.
Comme tous les prédateurs, les hommes violents ne peuvent agir que tapis dans l’ombre, alors il n’y a qu’une seule parade pour enrayer cette pandémie fantôme : une vigilance accrue de la société. Et là, comme pour la vaccination, comme pour les couvre-feux, la situation va nous obliger à trouver de difficiles équilibrages entre la nécessité de protéger la sécurité d’éventuelles victimes, et celle de continuer à défendre nos libertés qui sont le fondement de notre civilisation… et il ne faudra pas se tromper !